Information sur l'origine de la carte mortuaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A la douce mémoire

 

Certains collectionnent les cartes de hockey, d'autres s'enti­chent  d'images pieuses ou de vieux almanachs.

Croyez-le ou non, Cap aux Diamants a déniché un fervent amateur de cartes mortuaires !

 

par Gaston Deschènes

De moins en moins à la mode depuis une vingtaine d'années, l'impression d'une carte mortuaire était autrefois de rigueur après le décès d'un être cher. Il s'agissait alors de rappe­ler la mémoire de la personne défunte et d'inviter à prier pour elle, d'où les inscriptions classiques «Souvenez-vous dans vos prières...», «Priez pour le repos de l'âme. » et, plus souvent. «À la douce mémoire...».

On en trouvait autrefois dans tous les missels, dans les livres de chants et de dévotions. Ma mère en conservait une centaine dans l'horloge, classées dans un ordre qu'elle était la seule à pouvoir utiliser, l'âge au décès, ce qui exigeait une mémoire exceptionnelle.

Les origines de la carte mortuaire

D'après Pierre Lessard, qui en a fait une catégo­rie particulière dans Les Petites images dévotes, ouvrage publié aux Presses de l'Université Laval en 1981, les plus anciennes cartes mortuaires québécoises dateraient du milieu du xix* siècle. On imprimait alors un rappel de la mémoire du défunt à l'endos d'images pieuses importées d'Europe.

Ces images venaient le plus souvent de France, mais aussi de Belgique, ou d'Alsace. La firme

Bouasse-Lehel, imprimeurs-éditeurs de la rue Saint-Sulpice, à Paris, offrait un vaste catalogue de modèles numérotés représentant principale­ment le Christ, la Vierge et la sainte Croix.

Une fois le ou les modèles choisis - car on utilisait parfois plusieurs images différentes -, l'éditeur québécois faisait imprimer quelques renseignements sur le défunt, soit son nom et son âge, à l'occasion sa profession, le nom du conjoint ou des parents, le lieu, ta date et parfois, les circonstances du décès. Ces renseignements étaient accompagnés d'une prière, de pensées pieuses ou de citations bibliques, le tout généralement encadré de noir et surmonté d'une croix.

La photo du défunt

À la fin du XIXe siècle, on voit apparaître la photo graphie du défunt. Le procédé est d'abord artisanal. La croix fait place à un minuscule cadre où on colle la photographie. Dans certains cas, il n'y a pas d'espace spécialement délimité et la photographie cache la croix. Les autres éléments imprimés localement ne changent pas: prières, invocations, pensées pieuses. Excep­tionnellement, les données biographiques se font plus nombreuses, C'est notamment le cas des membres du clergé dont on rappelle parfois la date de naissance et d'ordination ainsi que les différentes affectations.

Progressivement, dans les premières décennies du XXe siècle, la carte mortuaire se métamorphose. La photographie du défunt prend de plus en plus de place et supplante l'image pieuse. Au recto, on trouve désormais une photographie directement imprimée sur la carte et les renseignements biographiques sur le défunt. Au verso, une petite croix - parfois une minuscule image -accompagne une prière ou des pensées. Le caractère religieux de la carte mortuaire s'estompe nettement. Le passage à ce nouveau modèle se fait graduellement. Vers 1940, on trouve encore des cartes portant une photographie collée, et même des cartes dépourvues de portrait du défunt.

Disparition des signes de deuil

Après la croix noire, qui est reléguée au verso de la carte, un autre signe de deuil disparaît progressivement. Les cartes du début du siècle portaient une bordure noire qui atteignait parfois près d'un centimètre. Déjà, dans le premier tiers du siècle, on trouve des cartes qui n'ont pas cette bordure et, par la suite, on passe au simple filet, puis à des angles noirs, pour enfin voir cet ornement complètement éliminé.

Enfin, dès la fin des années cinquante, et plus fréquemment par la suite, un dernier modèle se répand. Il s'agit d'une photographie du défunt présentant, au verso, tes données biographiques et un texte bref, prière ou pensée. Les signes de deuil sont disparus. La carte appartient désormais au monde laïc.

Autre changement notable : l'impression des cartes mortuaires passe de l'imprimeur au photographe puis à des maisons spécialisées. À l'époque où on utilisait les images pieuses comme base, un imprimeur pouvait se charger de l'impression du verso. L'apparition de la photographie à Québec. Livernois, Montminy. Ernst, Turcotte et fils ainsi que le Studio Jeannette ont longtemps occupé ce champ. Actuellement, tes studios de photographie distribuent surtout les produits Mémento, maison établie à Lévis depuis une trentaine d'années, ou Trans Canada, une firme de Montréal active dans ce secteur depuis vingt ans.

Particularités et variantes

Les observations qui précèdent s'appuient sur une collection d'environ 600 cartes imprimées principalement dans la région de Québec, le Bas Saint Laurent et le Saguenay entre 1886 et 1980, Les grandes lignes de l'évolution de la carte mortuaire sont les mêmes dans ces régions. Les cartes ont, sauf de rares exceptions, entre 5,5 et 8,5 cm de largeur et entre 9 et 12 cm de hauteur, Le modèle le plus courant est cartonné et fait 6,5 sur 10,5 cm, mais il existe évidemment des modèles particuliers.

Ainsi, certaines familles se paient une carte double dont la page couverture porte une image pieuse et, l'intérieur, les renseignements sur le défunt accompagnés des textes habituels. Plus tard, c'est la photo du défunt qui apparaîtra sur la couverture, laissant plus d'espace à l'intérieur pour les textes.

Un autre type de carte double rappelle le souvenir de deux défunts. On profite parfois du décès d'une personne pour souligner l'anniversaire, ou simplement évoquer le souvenir du conjoint, Deux enfants morts à des dates rapprochées se retrouvent sur la même carte. Des couples morts ensemble figurent sur la même carte. C'est le cas de couples morts dans l'accident de l'Obiou en novembre 1950. Les Ménard, de L'Islet, et tes Michaud, de Plessisville, ont une carte commune. Celle des Michaud présente même une vue du mont Obi ou, près de La Salette, en France, où tes passagers du « Pèlerin canadien» ont connu une mort tragique à leur retour de Rome.

Des documents historiques

Il existe encore peu de collectionneurs de cartes mortuaires. Ces documents ont souvent pris le chemin de la poubelle avec bien d'autres éléments du patrimoine religieux. Pourtant, ils présentent un intérêt certain pour l'historien et le généalogiste.

Les renseignements que les cartes contiennent sont généralement fiables. L'âge au décès manque parfois d'exactitude mais la date elle-même et l'identité du conjoint sont sûres. Et si les images pieuses, qui sont souvent d'une grande qualité technique, peuvent nous en apprendre sur tes pratiques de dévotions de nos ancêtres, les noms de ces derniers témoignent, à coup sûr, d'une fertile imagination !

 

Texte tiré de la revue CAP-AUX-DIAMANTS, Numéro 31, Automne 1992.